lundi 7 novembre 2011

III. Un héros nécessaire aux personnages et aux intrigues secondaires

          1. Une enquête policière reléguée au second plan

Roberto Succo est une enquête policière mais la présence de la police est minimisée dans les deux oeuvres.
En effet, dans le film de Kahn, la trame se présente sous la forme de deux parcours différents qui finissent par se rejoindre: l’histoire personnelle de Succo et l'enquête de l’inspecteur de police française.
Ainsi, le début du film centre son histoire autour de Succo, où plutôt Kurt (disant s’appeler ainsi) et met en parallèle l’affaire policière. Bien que le spectateur se doute d’un lien existant entre ce fameux Kurt et le meurtre, dénote peu d'indice liant les deux histoires, avant l’agression du chauffeur de taxi. 


 
Agression du chauffeur de taxi dans le film


 C’est à ce moment là que le spectateur comprend la double vie du héros. Néanmoins, la première appartion mettant en scène le début de l’enquête policière, marque une césure avec le début du film.






En effet, sans chercher à critiquer le jeu des acteurs, cette scène paraît presque fade, récitée et lente contrairement à un Succo très actif dans le reste du film.  Et là se trouve peut être la faiblesse volontaire de l’oeuvre de Kahn avec des séquences policières plus nécessaires qu’autre chose, pour bien comprendre le film. En effet, les inspecteurs sont méthodiques et rationnels, par opposition un hors la loi surréaliste et désorganisé. C'est peut être pour cette raison là que les enquêteur ont mis autant de temps à mettre la main sur Succo, en raisonnant trop que des êtres "normaux" et cartésienne.
Cela se remarque également dans la pièce de Koltès avec la scène de l’inspecteur de police à l’hôtel de passe qui rompt totalement le rythme dramatique de la pièce quoiqu'elle permette de mettre en valeur la gratuité des crimes de Zucco. La lenteur du policier mélancolique se construit par opposition à celle de Zucco, ombre rapide qui ne cesse de tuer, sous les yeux de la police. L’enquêteur du film serait donc un écho à l’inspecteur mélancolique de la pièce. En effet, même si tous deux ne sont pas voués à la même fin tragique, le film nous présente un enquêteur enclin à la tristesse et à la douleur de part ses problèmes conjugaux. De plus, le film nous le présente comme un policier obsédé par le criminel qu’il poursuit, obnubilé par l’une de ses victime qu’il tente à tout prix de retrouver. Mais, les auteurs ne cherchent pas à nous intéresser à ces personnages de policiers, étant au service de Succo et ne dépendant que de lui.
D’ailleurs, ils ne cherchent pas non plus à accorder beaucoup de prestige aux policiers. L’un en fait un personnage en pleine crise conjugale et l’autre nous le présente pour la première fois en train de se plaindre de son malaise mélancolique à une maquerelle alors qu’un meurtre se produit juste sous ses yeux.
De plus, dans la pièce, le meurtre du collègue du policier n’est pas représenté sur scène marquant la primauté de la narration sur l’action. Koltès en fait donc plutôt des hommes de paroles que d’actions, ce qui n’est pas pour glorifier l’institution. Cette narration accentue l’attrait mythique de Zucco en perpétuant un récit oral aux aspects mystérieux. Même quand il n’est pas là, les autres personnages parlent de lui et le cas est le même dans le film. C’est comme si les autres personnages n’avaient plus d’intérêt s’ils n’avaient pas un lien avec le tueur. Cela porte également le héros hors d’atteinte des policiers, apparaissant comme un récit fabuleux, une ombre fuyante, se jouant d’eux.
Dans le film, l’inspecteur est également au service de Succo. En effet, il passe tout le film à essayer de l’attraper (soulignons qu’il n’y arrivera pas) et une fois qu’il se retrouve enfin face au criminel, il reste muet pour finalement se laisser submerger par la colère sous les yeux d’un Succo qui se joue de lui. 



                    Interrogatoire de Succo dans le film




Remarquons d'ailleurs ici de quelle manière Roberto prend le dessus dans cet interrogatoire. En effet, il arrive à rendre muet le juge italien en justifiant ses délits, qu'il qualifie parfois de paranormaux. La manière qu'il a de justifier fait preuve d'une telle rhétorique irréelle que cela la rend amusante tellement elle paraît invraisemblable.
Le cinéaste met en lumière un criminel et ridiculise ainsi une police impuissante face aux divagations de Succo. 
Il en est de même dans la pièce de théâtre avec l'exemple des gardiens de prison. En effet, Zucco ridiculise deux fois les gardiens de la prison en arrivant à s'évader de la prison sous leur nez.
Notons d'ailleurs que lors de sa sortie en salle, le film a fait débat dans les régions où a sévit Succo voire même boycotté par la police. comme en témoigne cette article de la Dépêche du 27 Mai 2001:


La mère de Michel Astoul dénonce le voyeurisme du film:

TARN & GARONNE : Roberto Succo avait aussi tué un jeune tarn-et-garonnais

La projection du film « Roberto Succo », la semaine dernière à Cannes, a causé une vive émotion dans les commissariats, deux policiers figurant parmi les victimes du tueur, mais aussi chez les familles des autres victimes. Parmi elles, la famille Astoul de Bourg-de-Visa, dont le fils, Michel, a été assassiné par Succo. Francine, la mère de Michel Astoul, témoigne.
[...] Deux policiers figurent notamment parmi ses victimes. D'où la colère du syndicat Alliance au moment de la sortie de « Roberto Succo », le film de Cédric Khan présenté la semaine dernière à Cannes, et retraçant la vie de ce tueur. Mais Roberto Succo a également ôté la vie à d'autres victimes, comme Michel Astoul, cet étudiant en médecine originaire du Tarn-et- Garonne. La polémique née du film, alimentée par les policiers, n'a guère laissé de place à l'expression des familles des ces victimes. Et pourtant, l'oeuvre de Cédric khan les a aussi fait souffrir, comme le confirme Francine Astoul, la mère de Michel Astoul, assassiné par Roberto Succo le 27 avril 1987, que nous avons retrouvée à Marseille: « Je pensais qu'un tel fim serait interdit tant qu'on aurait pas 70 ou 80 ans, assure Mme Astoul. On vit cela très mal. Nous sommes restés en dehors de cette polémique... Les policiers ont protesté. Mais nous qui sommes directement concernés, personne ne nous a rien demandé. Ce que je reproche aux policiers, c'est de n'avoir parler que d'eux. Ils n'ont pas pensé aux familles... La mort de notre fils a été quelque chose d'épouvantable et aujourd'hui on nous remet cela en pleine figure »... 
Francine Astoul est en colère. Elle raconte comment, circulant dans les rues de la cité phocéenne la semaine dernière, elle a croisé les énormes affiches de Roberto Succo. « Ça nous a fait un choc. Tout reviens, vous comprenez. Ca fait combien de nuit que je me réveille et que j'entends la voix de mon fils qui crie maman? On l'assassine tous les jours à 4 h 30 du matin... On a pas le droit de faire ça ».
Francine Astoul s'exprime posément, sans haine. Elle veut simplement faire partager son émotion, voudrait convaincre que le malheur des autres, ça se respecte. « 14 ans après, c'est trop tôt. On peut se mettre à la place du cinéaste. Il raconte l'histoire d'un bonhomme. Mais cette histoire, nous, nous la vivons tous les jours. Ce cinéaste s'est il posé la question? A-t-il réalisé qu'on était toujours là? Même si je me doutais qu'il y aurait un film un jour, je ne pensais pas que ça arriverait si tôt. C'est du voyeurisme »...

Pierre MAZILLE


Afin de comprendre les raisons de cette revendication et ce soulèvement contre les oeuvres artistiques des deux auteurs, écoutons la réaction de la veuve de l'une des victime de Succo (le policier Michel Morandin) et sa réaction face à la fascination du public pour ce meurtrier:


 Interview Jeanine Morandin, Faîtes entrer l'accusé

 

Notons ici non pas la haine qu'éprouve la veuve de Michel Morandin mais plutôt sa déception face à une oeuvre prématurée et son incompréhension totale pour cette fascination grandissante pour le meurtrier. Le spectateur doit-il se sentir coupable d'avoir éprouvé ce sentiment? Mais, le cinéaste ayant voulu être le plus fidèle à la réalité, pouvons-nous vraiment lui reprocher d'avoir voulu ériger Succo au rang de mythe fascinant? L'histoire vraie de l'italien n'est-elle pas déjà hors du commun avant même l'arrivée des deux oeuvres? 
Ce film a demandé nombre de justifications, de la part de Cédric Kahn, jugé comme étant trop prématuré. Il est vrai que la police n'y est pas vraiment glorifiée et qu'elle compte des victimes de l'italien dans ses effectifs mais l'on ne peut reprocher au cinéaste de relater la réalité des évènements. Cela nous met donc face aux limites de l'art et de la censure qui tend à garder une main de fer sur les oeuvres.
Il en est de même pour l'oeuvre de Koltès et l'incompréhension des familles des victimes de faire de ce criminel une figure héroïque. Mais l'art ne reste-il pas subjectif et imagé? Les auteurs cherchent-ils vraiment à porter atteinte aux familles des victimes de Succo? Le meurtrier n'a-t-il pas lui même contribué à faire de son image le symbole du martyr mythique? Malade ou non, criminel ou pas, bien ou mal, Baudelaire nous a bien prouvé que tout pouvait être sujet d'art et cela est devenu le cas grâce à Kahn et Koltès. Tout homme a droit à l'expression et il est remarquable de la part des deux artistes de ne pas avoir uniquement retracé l'histoire d'un meurtrier mais également celle d'un homme avec, entre autre, l'évocation de la femme aimée.