mardi 8 novembre 2011

          2. Un assassin sans raison: folie irrationnelle ou maladive?

Pascale Foment dans son oeuvre biographie, qualifie Succo d'assassin sans raison mais la schizophrénie du personnage ne pourrait-elle pas être une raison suffisante à ses crimes? Ici, ne cherchons pas à excuser des crimes sous prétexte d'une maladie mais plutôt à voir comment ce diagnostic médical peut entraîner cette "folie criminelle".

La schizophrénie est une maladie mentale caractérisée par un trouble de la personnalité. Elle se manifeste par des hallucinations, des délires ou encore des crises de démence du malade. Elle apparaît le plus souvent à l'adolescence ou au début de l'âge adulte mettant en cause des facteurs génétiques, psychologiques, neurobiologiques ou même sociaux. D'ailleurs, durant l'adolescence, Marisa Succo, la mère de Roberto était elle-même encline à des élans de violence et colère quand elle était contrariée, c'est pourquoi elle pensait que la malédiction s'acharnait sur sa famille. En effet, pour comprendre cela, il faut remonter à l'histoire des arrières-grands-parents de Roberto.

Le 18 Juin 1911, Emma et Giovanni Beriozza, les grands-parents maternels de Marisa se marient et Olga, la mère de celle-ci verra le jour deux mois et demi plus tard. Les années suivantes, Emma mettra au monde quatre enfants dont deux qui meurent en bas âge. Sept ans après son mariage, Emma meurt mais Giovanni ne tarde pas à se remarier avec sa seconde femme, Luigia. De cette union naquis huit enfants que la marâtre d'Olga élève avec amour, au détriment des enfants du premier mariage. Violente et alcoolique, elle poignarde Olga dans les années 1930 alors que celle-ci tentait de protéger sa soeur handicapée Tina, des coups de leur belle-mère. Sauvée de justesse, Olga se marie quelques mois plus tard avec Augusto Lamon et donnera naissance à Marisa, la mère de Roberto. Mais Olga ne se remettra jamais de cette agression et meurt deux ans après la naissance de sa fille. Marisa se retrouve donc dans la même position d'orpheline de mère, au même titre que sa génitrice avant elle. Ainsi, la mère de Roberto pensait que la fatalité menaçait sa famille. C'est pourquoi, dès les premières apparitions de la maladie de Roberto (c'est-à-dire son caractère violent), Marisa ferma les yeux comme pour nier cette prétendue malédiction familiale. C'est également ce mystère qui fait du personnage ce qu'il est et les deux auteurs ont habilement retranscris la noirceur du criminel. 
Chez Koltès, l'écriture est certainement le meilleur moyen de mettre en scène la complexité voire l'irrationalité de son personnage de Zucco. En effet, nous pouvons remarquer dans un premier temps que les discussions entre les personnages de la pièce sont de véritables dialogues de sourds (raison pour laquelle cette pièce a été parfois catégorisée dans le registre du théâtre de l'absurde). C'est comme si les personnages n'arrivaient pas à exprimer ce qu'ils pensaient. Ainsi, dès la première scène de la pièce, nous pouvons remarquer une totale inadéquation entre les questions de la mère et les réponses du fils, et vice versa. Dans ce schéma, quand le fils demande à la mère où est son trellis, celle-ci lui propose de l'argent pour s'en acheter un. Le langage devient absurde et presque immaîtrisable pour les personnages ("Il n'y a pas de mots, il n'y a rien à dire. il faut arrêter d'enseigner les mots"). Les actes, eux aussi perdent de leur importance et ainsi, le viol de la Gamine paraît presque naturel dans la pièce. La mort et la violence perdent donc de leur ampleur et font l'absurdité de la pièce. Zucco est d'ailleurs meurtri par cette absence de communication qui l'enferme dans sa folie et sa solitude. Cela se remarque d'ailleurs dans le chapitre VIII où il décroche le combiné d'une cabine téléphonique et se met à parler tout seul ("Une Pute (à la porte du bar). - Je vous l'avais bien dit que c'était un fou. Il parle à un téléphone qui ne marche pas"). Le dramaturge joue également des mots pour faire de la violence de la poésie. Et ici, nous retrouvons bien l'image du véritable Succo: entre beauté et cruauté. Soulignons que le tueur a fasciné également par sa beauté, sa tête d'ange diabolique, ainsi Koltès nous rapproche donc son écriture du physique et du comportement du jeune homme.
Dans le film de Kahn aussi nous retrouvons ce déséquilibre entre fiction et réalité. C'est comme si Succo passé d'une seconde à l'autre d'individu malade à personne saine. Il peut être aussi bien rationnel comme image d'un homme normal tentant d'établir une relation amoureuse avec une femme que démon dévastateur et incohérent. Le réalisateur déteint habillement ce caractère schizophrène par les délires politiques auxquels est enclin le personnage. En effet, dans le film, Roberto se dit souvent terroriste et déblatère de longs discours anarchistes sur la corruption italienne en citant Marx et Nietzsche (notons à titre biographique que le véritable Succo vouait un culte au philosophe qu'il cita dans nombres de ses interrogatoires, lors de ses deux incarcérations) par exemple. Celui qui dit s'appeler Kurt, André Gaillard ou encore Stefano Bamdino usent de différentes identités dans son rôle d'agent secret. Crise schizophrénique ou mensonge pour échapper à la réalité, le mystère plane sur ce que Succo considérait être la réalité. Le paradoxe dans la manière de réalisation de Kahn, c'est qu'il fait parfois de Succo un personnage tellement absurde qu'il en devient drôle malgré lui.




La scène commence de manière invraisemblable, Succo se disant être un terroriste (notons qu'il se dit souvent être un terroriste durant le film, tout comme lors de ses interrogatoires dans la vraie vie: vie inventée de sa double personnalité?). L'irrationalité, voire même l'ironie tellement la scène paraît loufoque, est telle que c'est un tueur qui tente d'abuser sexuellement d'une jeune fille qui finit par faire la morale à celle-ci sur les méfaits de l'adultère. De plus, malgré les intentions qu'il avait envers l'étudiante, il sort de la voiture en lui faisant la bise ("Allez, je te fais la bise") après avoir discuter médecine avec elle. C'est comme si, en quelques secondes, il était passé de Mister Jeckyll à Docteur Hyde, la jeune fille se voyant refuser ses avances et arrivant à gagner sa confiance par le dialogue. Nous retrouvons également une scène similaire lors de la prise d'otage de Françoise Wannaz qui, en instaurant une certaine relation mère/enfant ou enseignant/élève (la victime étant institutrice), ainsi  qu'en coopérant, se voit épargner par Succo. La scène paraît encore une fois irrationnelle au moment où il l'embrasse pour la remercier de son aide.
Il en est de même pour beaucoup de ses crimes. En effet, parfois Succo rentrait simplement dans les maisons, dévalisait les congélateurs, prenait une douche et partait. Néanmoins, certains de ses crimes sont violents par la gratuité de ceux-ci. Ceci est le cas pour l'enlèvement de Nicole et son fils Damien, qui est peut être l'une des scène les plus dérangeante du film de Kahn. Succo ne s'expliquera d'ailleurs jamais sur cet acte et son interprétation a été quasiment impossible pour les psychiatres lors de sa dernière incarcération. Notons que cette scène n'est pas une réplique exacte de la réalité, le réalisateur minimisant la cruauté de l'agresseur en prenant un enfant pour jouer le rôle de Damien. En effet, le garçon, dans la véritable histoire est en faite un adolescent mais Kahn préfère le remplacer par un enfant pour rendre la scène plus chaste, plus pure.  





Nous pouvons donc bien trouver un attrait surnaturel aux oeuvres comme témoins d'une maladie grandissante. Les deux auteurs restent fidèles, chacun à leur manière, à la double personnalité du malade en arrivant parfois à faire passer cette folie meurtrière comme maladive.
Quoiqu'il en soit, folie ou non, criminel sanguinaire ou pas, Succo a réussir à faire de lui-même un phénomène de son vivant, rang que la transmédialité a transcendée vers le mythe. Comment les auteurs arrivent-ils à nous faire oublier le criminel pour créer un héros?